Dans leur approche holistique, un nombre croissant de dermatologues font appel à des outils standardisés pour quantifier la gravité de la maladie et l’efficacité du traitement, tout en identifiant la présence d’éventuelles comorbidités. Il existe à cet effet plusieurs questionnaires internationaux validés par des experts locaux. Explications avec le docteur Thomas Damsin, Dermatologue au CHU de Liège et Chef de clinique adjoint.
Vous êtes spécialisé en maladies inflammatoires dont le psoriasis. Comme la plupart de vos collègues dermatologues aujourd’hui, vous ne vous limitez plus au traitement des symptômes cutanés, mais vous appliquez une approche holistique. Pourquoi ?
Nous savons aujourd’hui que le psoriasis, c’est bien plus qu’une maladie de la peau : c’est une maladie systémique qui peut, au-delà des symptômes dermatologiques, aller de pair avec plusieurs comorbidités, comme l’arthrite psoriasique, l’obésité ou les maladies cardiovasculaires. Pour cette raison, le traitement vise une prise en charge globale du patient.
Pour vous aider à y voir clair endéans le temps réduit dont vous disposez lors de chaque consultation, il existe des outils plus ou moins standardisés. De quoi s’agit-il ?
Dans ce que les scientifiques appellent le ‘treat to target approach’, le spécialiste va déterminer quels sont les points qu’il va essayer de traiter ou d’améliorer et quels buts il veut atteindre. Il existe à cet effet des protocoles de recommandation belges, basés sur des exemples internationaux.
Concrètement, cela signifie que nous utilisons des ‘PROMS’, (Patient-Reported Outcome Measures), donc des questionnaires destinés à évaluer les différentes composantes de la maladie et de son traitement. Lesdits PROMS ne s’utilisent d’ailleurs pas uniquement dans le traitement du psoriasis, mais dans celui de beaucoup d’autres maladies aussi.
En dermatologie, et notamment pour le psoriasis, le médecin va évaluer quatre pôles avec son patient. Le premier vise logiquement le contrôle de la maladie et nous l’abordons selon quatre points. D’abord le médecin va déterminer la sévérité de la maladie, tandis que le patient va évaluer les démangeaisons dont il souffre éventuellement. Un troisième aspect concerne les localisations difficiles de psoriasis qui peuvent être jugées par le médecin ou bien le patient même. Cette question porte sur la présence de psoriasis au niveau des ongles, du cuir chevelu et zones génitales.
Ce dernier aspect en particulier est de plus en plus mis en avant dans les discussions entre experts et il existe bon nombre de questionnaires bien spécifiques, étant donné la nature sensible du sujet que souvent les patients osent moins facilement aborder, surtout en début d’une relation thérapeutique.
Le dernier point a un rapport avec le temps et le délai laissé à un traitement pour donner des résultats ou atteindre ses objectifs. Il est souvent question de douze semaines, mais il n’existe pas de règles absolues en la matière, sachant que parfois le processus progresse plus lentement.
Vous parliez de quatre pôles. Quel est le deuxième ?
Le deuxième pôle examine le bien-être du patient. Il faut savoir qu’en matière de psoriasis bon nombre de facteurs peuvent influer le succès d’un traitement et que quand ce dernier ne semble pas fonctionner, il faut se poser les bonnes questions. Ainsi, il faut se demander avant tout dans quelle mesure les patients suivent leur traitement scrupuleusement. Ou en cas de poussée subite, il est indiqué de vérifier s’ils n’ont pas commencé à prendre certains médicaments qui peuvent impacter ou diminuer l’effet de leur traitement. C’est le cas des bétabloquants, par exemple, souvent donnés à des personnes souffrant de maladies cardiovasculaires. Il convient aussi de voir s’il n’y a pas eu d’événement majeur qui s’est produit dans la vie des patients (divorce, licenciement, conflit, etc.) : ce sont là des facteurs qui peuvent impacter l’efficacité d’un traitement, sans qu’il soit nécessaire de le remettre en question pour autant.
Le troisième pôle se résume à ce qui s’appelle en anglais le ‘burden of treatment’. Ce point est évalué par le médecin et va analyser les éventuels effets secondaires du traitement. Aujourd’hui nous pouvons proposer des traitements efficaces avec une haute sécurité (et peu d’effets secondaires). Ce pôle prend aussi en compte la tolérabilité du médicament, un aspect évalué par le patient même
Au-delà de la peau, il existe un quatrième pôle fort important qui s’applique à la détection d’éventuelles comorbidités, des maladies connexes, comme les maladies cardiovasculaires, le diabète et l’obésité, pour n’en citer que quelques-unes, afin de pouvoir référer efficacement si nécessaire. En la matière, il est important d’impliquer de façon proactive le patient, tout en tenant compte de sa personne, de son niveau d’information, de ces angoisses, de ces attentes. Chaque patient est en effet différent.
Je tiens à ce niveau d’ailleurs à souligner l’importance du travail collaboratif entre le médecin, le patient et l’aide-soignante ou l’infirmière qui souvent le prend en charge dans l’évaluation de la maladie et du traitement. Il ne faut pas sous-estimer l’apport de cette dernière dans tout le processus ainsi que dans la relation de confiance nécessaire à la réussite d’un traitement.
Ces questionnaires nous sont utiles parce que le temps est compté dans une consultation et qu’il faut par conséquent aller à l’essentiel. C’est également une fonction importante des PROMS : nous pouvons, à l’aide de quelques questions, savoir très vite si nous devons aller plus loin dans le screening de nos patients. C’est notamment important dans le dépistage de l’arthrite psoriasique ou des maladies cardiovasculaires, mais aussi au niveau des maladies chroniques de l’intestin. C’est une catégorie de maladies dont on parle moins et qui pourtant peut avoir un lien avec nos patients psoriasiques.
Au-delà et sachant que la dépression fait partie des comorbidités plus ou moins courantes, je m’intéresse bien sûr au bien-être mental de mes patients. Pour ce faire, je dispose d’une évaluation en sept questions qui permettent de déceler si un patient ne va pas bien.
Vous savez, la peau est une fenêtre extérieure et l’approche holistique dont nous avons parlé permet d’améliorer ce qui se passe à l’intérieur à plus long terme. Grâce aux PROMS, nous pouvons montrer que l’impact des traitements efficaces dont nous disposons est positif à plusieurs niveaux : celui de la peau, mais aussi l’état de santé général du patient qui s’améliore, ce qui permet de faire des économies en matière de santé à long terme.